Ar Grusifi saveteet
Le Crucifix sauvé
 

Ur vatimant 'vont de boursu e chañs
A rankontras un all demeus a Frañs
Hag eñ poursu kemend anezhi
Ken ataket en douar Barbari (1)

Masakret eo bet a dennoù kanon
Ken neus ranket koulañ foñs er mor don
Kaset eo bet d'ar foñs ar vatimant
Goude paket ur groaz gaer ha sermant

Staget eo bet en douar Barbari
'Vit e goapañ pep hini fantazi
Staget eo bet na deus toull an nor kêr
'Vit e goapañ pep hini 'n e geñver

Div vagagin poultr oa e kreiz plas kêr
En ur zondon e zo savet en aer
Eizh ugent mil den e oa eno souden
Eizh ugent mil 'deus losket o c'hroc'hen

Daou dad santel deus a Sant Matulin
A oa en ker stouet war o daoulin
Evit goulenn ar groaz kaer da brenañ
Evit arc'hant ma karjed hi gwerzañ

Lakaet eo bet ar groaz kaer er valañs
Hi ugent lur a bouez en asurañs (bis)
Tri fezh loeiz aour c'hoaz gante vit al lañs

Kas't ho Toue ganeoc'h deus ar valañs
Hag it gantañ buan eus hor prezañs
(bis)

War aod bro Chin pa int dizambarket
C'hleier da son a zo bet komañset
Komañset eo bet ar c'hleier de son
Ken oe spontet pep hini 'n e ganton

Person bro Chin pa 'n eus bet klevet
Ur brocesion prest en eus bet savet
Savet en eus ur brocesion pront
'Vont d'e rancontr na bete penn ar pont

E penn ar pont pa'n eo bet arriet
Na de ganañ int zo bet komañset
Na de ganañ - « Te Deum laudamus »
'Vit rentañ meuleudi da Jezuz

Na de ganañ : « Te Deum laudamus »
'Vit rentan meuleudi da Jezuz
Na de ganañ ar « Veni Creator »
Evit rentañ homaj d'hon redemptor.



Le sujet

L'air ci-dessus a tout à fait le caractère d'un chant de victoire. Ce gwerz, ou cantique, tel qu'il m'a été chanté, me paraît incomplet et dans un breton assez corrompu. Les vers sont de dix syllabes avec césure après le le 4è ce qui est assez rare.
Nous nous sommes aperçus, après coup, que M. Luzel a publié dans les Annales de Bretagne (N° de Nov. 1891), un gwerz intitulé « Le Crucifix de l'Eglise du Mur à Morlaix », qui ne doit être qu'une version du nôtre, mais relatant le fait dans des circonstances assez différentes.
Il s'agit en effet de deux navires anglais qui se sont emparés d'un navire français et d'un crucifix. On attribue, de plus, aux Anglais, dénommés les Barbares (ar Barbaret), les insultes au Christ ; mais si l'on examine les strophes 4 et 8 reproduites ci-dessous (2), on peut croire que les Musulmans ont été mêlés aux Anglais dans une ville dite aussi de la Barbarie.
Pour expliquer cette ambiguïté, on fait observer que nos paysans croient généralement que les Anglais ne sont pas des chrétiens parce qu'ils sont protestants. Cette croyance serait exagérée. Tout le monde sait, en effet, que les Anglais ne sont pas catholiques, mais qu'ils adorent le Christ et ne le traitent pas de faux prophète. Cette injure a toujours été attribuée aux Musulmans et, jusqu'à présent, on ne s'était pas douté que les Bretons aient confondu les Anglais avec les Turcs. D'un autre côté, celle de M. Luzel ne mentionne pas le voyage en Chine des deux pères capucins, avec la Croix. M. Luzel dit en note :
« Le Crucifix dont il est question se voit aujourd'hui dans l'église de Saint-Matthieu à Morlaix, où il a été transporté après la destruction de l'église de Notre-Dame du Mur. Il est ancien et du style dit Bysantin. »

Voici maintenant la tradition populaire qui existe à Morlaix et aux environs au sujet du crucifix. Elle est extraite de « L'Histoire de Morlaix » par M. Daumesnil, ancien maire de cette ville, continuée et complétée par Allier, bibliothécaire :
« A une époque indéterminée, un navire, sorti d'un port de l'Italie, fut attaqué et pris à l'abordage par des pirates (3). Lorsque ceux-ci eurent massacré l'équipage, ils voulurent faire de ce Christ l'objet de leurs plaisanteries, ce qui ne leur porta que malheur, car ils périrent tous frappés par la foudre. Le navire s'en alla à la dérive, balloté par les vents et les flots et resta pendant longtemps à la merci des éléments. Poussé dans la Manche par les courants, il fut enfin, par un hasard providentiel rencontré par les pêcheurs en rade de Morlaix. Il était depuis quelques jours dans ce havre, sans que les mariniers aperçussent le moindre signe de vie à bord. Enhardis par leurs sentiments d'humanité, ils se hasardèrent à venir offrir leurs services aux gens du navire abandonné, et trouvèrent ainsi l'image vénérée qu'ils transportèrent à Morlaix sur une charrette attelée de deux boeufs. Le trajet s'effectua jusqu'au moment où elle se trouva vis-à-vis de l'église de Notre-Dame du Mur. Là, les efforts devinrent inutiles, alors tous les témoins de ce fait déclarèrent que c'était dans l'église de la Patronne de leur cité qu'il fallait placer cette grande Image de la Rédemption. Ce n'est qu'après la Révolution qu'elle a été placée là où nous la voyons actuellement. »

Il résulte de cela que la découverte de cette croix daterait d'avant la Révolution.

Nous possédons une troisième version qui nous a été communiquée par M. l'Abbé Cloarec, ancien curé de Saint-Louis de Brest et qui a été imprimée à Morlaix, chez Ledan. Elle ne diffère pas pour le fond de celle de M. Luzel ; elle est plus développée et comprend dix-sept strophes de 4 vers de 13 syllabes. La troisième strophe paraît bien établir que les Anglais sont traités de Barbares.

Cette strophe dit :


Setu ta ar Vatimant ar wech man quemeret
Hac ebars en abordach cals a dud blesset
Demeus ar Zozon memes couls hac a gristenien
Gant ar Barbaret neuze ne voa espernet den.


D'un autre côté la strophe 8 dit :

Guelomp ama Christenien, pebez punision
O deus bet ar Barbaret qercouls hac ar Zozon
An tan demeus an envou a zo bet disqennet
War magazinou ar poultr tri mil den zo losquet


Ici, les Barbares paraissent distincts des Anglais. On voit, par cette discordance entre les récits, comment les traditions populaires peuvent être altérées, aussi est-il important de comparer les différents textes.

Pour terminer cette diversion un peu longue, nous dirons que le crucifix en question a certainement une origine mystérieuse, car on ne la connaît pas exactement. Mais le style byzantin qu'il accuse laisse tout lieu de croire qu'il est venu d'Orient, ainsi que notre version l'établit d'une manière péremptoire. De plus, il est certain que les Bretons désignent sous le nom de Barbares tous les peuples qui ne sont pas Chrétiens et qui renient le Christ.

(1) Douar Barbari (la terre de Barbarie). On serait tenté de croire qu'il s'agit des Etats Barbaresques de la Côte d'Afrique, dont les pirates infestèrent la Méditerrannée jusqu'à la prise d'Alger.

(2)

4. Ar Zaozon, ar Barbaret commanjont da zansal
E commanjont da zansal ha da lampad en er
Setu ar Fals Prophet Doué ar Gristenien
Gwelemp ni breman hag hen zo vid eon difen.

8. Ar Zaozon, ar Barbaret a rei eun drajedi
Gant ar grucifi santel er ger ar Varbari
Ker koulz a denno cano, vel a denno mousket
Hag ar grucifi ouz mogero ker staget.


(3) On ne dit pas ici de quelle nationalité était ce navire, non plus que les pirates. Mais on doit supposer que le fait a lieu dans la Méditerrannée. D'après une tradition rapportée par Vincent Coat, de Morlaix, ce Christ aurait été trouvé en mer, du côté de Constantinople, par les Musulmans.

Source

"Kanaouennoù Pobl", chansons recueillies par Alfred Bourgeois dans la deuxième moitié du XIXème siècle ; le recueil a été publié en 1959 à Paris Chanté le 14 juillet 1891, par Adèle Cato, femme Bocher, demeurant à Kernevez, près de Pontrieux, Côtes-du-Nord.