An eorioù zo savet, setu ar flik-ha-flok ;
Le sujetARGUMENT Un jeune paysan des montagnes d'Arrée, embarqué comme matelot à bord d'un bâtiment de guerre, fut atteint du mal du pays, et l'on fut contraint de le laisser à quelques lieues de Bordeaux, où il mourut de chagrin et de misère, sur la paille, dans une étable. Cet amour pour le lieu natal est un des sentiments qui inspirent le plus, chaque jour, nos poëtes populaires Il n'est pas de conscrit qui ne fasse composer sa chanson d'adieu en quittant la Bretagne: il y en a des milliers sur ce sujet ; toutes sont pleines de coeur, mais non de poésie. Le matelot des montagnes fit lui-même la sienne; c'est un de ses camarades de bord qui l'a conservée et répandue dans le pays. Je tiens ces détails d'un paysan de la paroisse de la Feuillée, sous la dictée duquel je l'ai écrite; il l'avait apprise lui-même d'un vieux garçon meunier, ami d'enfance du matelot, qui, s'il vivait encore, aurait plus de cent soixante-dix ans.
TRADUCTION Les ancres sont levées ; voici le flik-flok ; le vent devient plus fort ; nous filons rapidement ; les voiles s'enflent ; la terre s'éloigne; hélas ! mon coeur ne fait que soupirer. Adieu à quiconque m'aime, dans ma paroisse et aux environs; adieu, pauvre chérie, Linaik, adieu! je te fais ces adieux en te quittant; peut-être, hélas, est-ce pour toujours. Comme un petit oiseau enlevé dans le bois par un épervier d'auprès de sa compagne, dans la saison des nids, je n'ai guère le temps de songer à l'étendue de mon malheur, si vite on m'enlève à qui m'aime ! Comme un petit agneau éloigné de sa mère, je ne cesse de pleurer et de pousser des gémissements, les yeux toujours tournés vers le lieu où tu es restée, ô ma très douce amie! Bientôt mes yeux ne verront plus que la mer, qui tremble sous moi, qui bondit, qui s'entrouvre, et qui, lorsque je pense que tout est fini pour moi, et que je suis au fond de l'abîme, me lance vers le ciel. Quand j'entrai dans le vaisseau, mon étonnement fut grand de voir une espèce de château balancé sur la mer bleue ; quatre-vingt canons, quarante sur chaque bord, tachetés de blanc et peints en noir; Le rivage comme un cercle, à l'entour, loin de moi, séparant en deux la grande mer et le ciel ; et l'extrémité des mâts, plus élevée au-dessus de l'eau que ne l'est le bout de la tour la plus haute du sol du cimetière. Vous avez vu sur la colline, autour de la fougère verte, des fils sans nombre croisés en long et en travers; il y a plus de cordages autour d'un mât qu'il n'y a de fils autour d'un pied de fougère. Hélas! les Bretons sont pleins de tristesse! Ma tête tourne; je ne puis penser plus longtemps; mon coeur s'ouvre ; c'est en vain que je fais cette chanson; peut-être, hélas! ne me l'entendrez-vous jamais chanter!
NOTES Hélas! les Bretons sont pleins de tristesse! " Loin de leur patrie,- disent MM. Benoiston de Châteauneuf et Villermé, dans un écrit aussi impartial que judicieux sur la Bretagne,- loin de leur patrie, les Bretons n'existent qu'à moitié. Souvent ils meurent du regret de ne plus la voir. On raconte que l'ancienne Compagnie des Indes, frappée des pertes nombreuses qu'éprouvaient les équipages de ses vaisseaux presque tous composés de matelots nés en Bretagne, et qui, transportés sur les bords du Gange, y pleuraient la patrie absente et mouraient de douleur, prit le parti d'embarquer sur chacun de ses navires un joueur de biniou. Le son de cet instrument chéri du Breton, en lui rendant les airs et les danses de son pays, adoucissait la longueur de son exil et diminuait l'amertume de ses regrets"
SourceExtrait du "Barzhaz Breizh", le premier grand recueil de chansons bretonnes, publié en 1839 par Hersart de la Villemarqué |