I
Le sujetIEcoutez, et vous entendrez chanter, Un gwers nouveau composé cette année, Au sujet d'une petite servante qui était au service D'un seigneur, dans une gentilhommière; comprenez bien ceci. Le seigneur avait un fermier qui lui devait cent écus, Et il lui ennvoya le sergent. Le fermier, en voyant arriver le sergent, A pris son bâton, et s'est rendu chez son seigneur. Il lui a demandé un délai de huit jours. - Au lieu de huit jours, je t'en donne quinze, fermier. Moi je ne serai pas à la maison, mais ma petite servante y sera; La quittance sera dans l'armoire, et je la signerai. - II Après avoir compté son argent et serré ses deniers, Le fermier prit son bâton, pour aller payer son seigneur. Après avoir compté son argent et pris assurance (1), Il ne songea pas à demander quittance. Comme il s'en revenait et qu'il était déjà assez loin Seigneur Dieu, se dit-il, j'ai commis une faute! Oui, en ne demandant pas de quittance, Et si la fille vient à nier, me voilà dans la désolation ! - Le seigneur, en arrivant à la maison, a demandé aussitôt - Mon fermier n'est-il pas venu vous trouver ? - - Non certainement, dit-elle, je ne l'ai pas vu, Et votre quittance est dans l'armoire, où vous l'aviez mise. Alors il s'est mis à jurer, à offenser Dieu, Et il a encore envoyé le sergent au fermier. Le fermier, en voyant arriver le sergent, Est tombé sans connaissance à terre. Le sergent, qui était un homme bon, l'a relevé; Il l'a relevé et lui a dit : - Venez avec moi, pauvre fermier, venez avec moi au manoir Et je vous ferai avoir ou l'argent ou la quittance. - - Pourquoi donc, seigneur, ne donnez-vous pas quittance à c et homme, Puisqu'il a déposé l'argent et pris assurance ? - - Et comment le ferais-je, dit le seigneur, Puisque je n'ai jamais vu un liard de son argent ? - (1) Assurance de jouissance accordée au fermier à chaque payement. On a prié la petite servante de monter dans la chambre, Pour voir si elle avouera ou la quittance, ou l'argent. - Pourquoi donc, petite servante, ne donnez-vous pas quittance à cet homme, Puisqu'il a déposé son argent, et pris assurance ? - - Et comment pourrais-je le faire, dit-elle, Puisque je n'ai jamais vu un liard de son argent ? - Le fermier, en entendant leurs propos, Est descendu en pleurant. III Comme il s'en revenait, un peu avancé sur la route, Voilà qu'il rencontre un jeune gentilhomme : - Dis-moi, pauvre fermier, quel sujet tu as de pleurer, Et pourquoi tu es si triste en revenant de chez ton seigneur ? - - Seigneur Dieu, répondit-il, à quoi me servirait de le nier ? Je viens de perdre cinq cents écus avec une fille! - Viens avec moi, pauvre fermier, retourne sur tes pas, Et je te ferai avoir ton argent, ou ta quittance. Pourquoi, dit-il, seigneur, ne donnez-vous pas quittance à cet homme, Puisqu'il a déposé son argent, et pris assurance? - Et comment, dit le seigneur, pourrais-je faire cela, Puisque je n'ai jamais vu un liard de son argent? - - Faites monter votre petite servante, Pour voir si elle avouera ou la quittance ou l'argent. - Et pourquoi donc, petite servante, ne donnez-vous pas quittance à cet homme, Puisqu il a déposé son argent, et pris assurance ? - - Je demande que le feu me consume, que le diable m'emporte, Si j'ai jamais vu un liard de son argent ! - - Tu mens, petite servante, au milieu de ton âme! Car son argent est dans une bourse dans la paillasse de ton lit ! L'argent est dans une bourse, dans la paillasse de ton lit, Et beaucoup d'autres choses volées s'y trouvent encore. Si trois premiers valets ont été tués dans votre maison, seigneur, C'est votre petite servante qui en est la cause ! - Le Seigneur, en entendant parler de ses trois premiers valets, Tomba trois fois à terre, sans connaissance; Trois fois il est tombé à terre, sans connaissance, Et le diable, qui était dans la chambre, l'a relevé. - Or ça, dit-il, seigneur, si cette fille vous appartient, Ou par le feu ou par le vent voulez-vous qu'elle vous soit enlevée ? Si je l'emporte par le feu, le manoir sera incendié Si je l'emporte par le vent, le dommage ne sera pas aussi grand!- Aussitôt vint un tourbillon d'une violence extrême, Et la fille a été lancée au milieu de l'étang du moulin!... Un jeune meunier, qui était à serrer l'eau, Lui a tendu la main, pour lui venir en aide Mais la chaleur de l'argent et le contact de la fille maudite, Lui ont brûlé le bras, jusqu'à l'épaule; Lui ont brûlé le bras, jusqu'à l'épaule, Et voilà l'honneur et le profit qu'on retire des femmes! -
SourceMusique dans "Musiques bretonnes", de Maurice Duhamel Paroles extraites des "Gwerziou Breiz-Izel", de François-Marie Luzel, publié en 1868
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