Gwerz Gaidig ar Goaz
Complainte de Marguerite Le Goaz
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I
Mar peus c'hoant de gavet truez
Et dilun da Gastell nevez
Welfet kas deviñ ha leskiñ
Bravañ gwreg yaouank zo enni
Welfet kas deviñ ha leskiñ
Ar vaouez koantañ zo enni
Ur vinorez seizh vloaz ganti (1)
An holl a zo truez outi
Ar vinorez-mañ a lâre
« Aotrou Senechal ma faeron
Losket ma mamm baour alese
Ha me yey en hi flas ennon.
N'eo ket arri c'hoazh ar c'hiz-se
Ma varv an eil 'vit egile
Aotrou Senechal ma faeron
Reit d'am mamm baour remision.
Losket ma mamm baour alese
Ha me rey deoc'h ma oll danvez (bis)
Hag a zo tri c'hant skoed leve
- Ma bugel kaezh mar am c'heret
D'ar gêr bremañ-son a efet
Peogwir a-benn tri deiz amañ
Ho mamm vo distro d'ar gêr-mañ »
Ar bugel paour a lavare
War hi c'hostez 'barzh 'n hi gwele:
« Me garje ve arri an deiz
Arrife ma mamm baour din-me »
II
Ma bugel paour ne ouelet ket
Met ho mamm baour a zo devet
Itron Varia Gwerc'hez, ma mamm
Kriz eo ma c'halon ma ne rann
Maeronez kaezh mar em c'heret
Ur roched din a rofeet
Seizh vloaz zo ma zâd n'eus chañchet
N'en eus chañchet hini ebet (2)
Ar bugel paour a lavare
Ti douar hi dad pa'n arrie
« Ma zadig paour mar em c'heret
Ho tor din e tigorfeet
- Ma bugel kaezh et alese
An avel a dro a gostez
- Trey an a'el tu ma karo
Me a garje be'añ marv
- Ma buget kaezh, din o leret
Perak karfac'h be'añ marvet ?
- Balamour d'am mamm a zo devet
C'hwi ma zad gant al laour gleñved » (3)
An ti douar voe digoret
Roched hi zad he deus chañchet
Bremañ aet ar bugel d'he gannañ
Hi mamm de ga't Santez Anna
Kriz vije ar galon na ouelje
Tal ar stank an neb a vije
O weled ar c'hig hag ar gwad
O koue'añ druz deus hi daouarn
Goude ma he devoe kannet
D'an ti douar ee retornet
Roched gleb d'hi zad deus gwisket
Ha gant Doue voent pardonet
Pae roched gleb d'hi zad gwisket
O-daou diouzhtu a zo marvet
Doue da vo gant o ene
Et int o-daou dirak Doué !
Le sujet
Le Sénéchal fait brûler vive la plus belle femme du pays, qui a une petite fille de sept ans. La fille propose de prendre la place de sa mère, mais le seigneur refuse et la mère est brûlée
La fille demande une chemise pour son père, qui est lépreux et dont on n'a pas changé les vêtements depuis sept ans. Elle frappe à la porte de son père, qui lui dit de ne pas approcher, mais la fillette dit qu'elle préfèrerait être morte. Elle prend la chemise du père et va la laver à l'étang ; cruel serait le coeur de celui qui ne pleurerait, en voyant la chair et le sang tomber de ses mains
Elle retourne auprès de son père, en ayant revêtu sa chemise mouillée. Les deux meurent ; plaise à Dieu qu'ils aillent tous les deux en paradis !
Même musique que Jenovefa Rustefan, du Barzaz Breiz
Notes d'Alfred Bourgeois
Cette complainte m'a été chantée par une mendiante nommée Jeanne-Yvonne Oulc'hen, veuve Monchec, de Kernevez, près de Pontrieux, en juillet 1891. Je n'ai pu obtenir d'elle de renseignements précis. Il s'agit, paraî-il, de la fille adultérine d'un seigneur du pays qui aurait fait condamner la mère, Marguerite Le Goaz, qui habitait près d'un manoir dit Châteauneuf, en Plouguiel, près de Tréguier, mais dont il ne reste aucune trace.
La Sénéchal était peut-être le père ou du moins le parrain de l'orpheline. Le crime de la victime n'est pas relaté et cette complainte est sans doute incomplète comme beaucoup de compositions populaires de ce genre qui ne mentionnent que les faits les plus saillants en omettant les détails d'un fait censé connu dans le pays. Il faut rapprocher ce gwerz de celui que l'on trouve dans le premier volume des Gwerziou Breiz-Izel de M. Luzel et intitulé Bugel al Laourec. Il est plus explicite en ce qu'on y relate le crime ; mais la personne incriminée ne serait pas la même.
Suivant M. de la Villemarqué, la lèpre parut en Bretagne à la fin du 12e siècle ; elle y prit une grande extension, étant fort contagieuse. Il est probable qu'elle fut importée en France à la suite des Croisades, car elle est originaire des pays orientaux. L'auteur du Barzaz Breiz dit que les lépreux, désignés sous le nom de kakous ou kakouzien, furent le sujet de plusieurs chansons populaires et que toutes sont antérieures au 15ème siècle, époque où le fléau cessa de régner en Bretagne. Cette ancienneté de date ne doit pas s'appliquer à notre gwerz, bien qu'il doive remonter avant la Révolution à en juger par le titre de sénéchal. Nous croyons que les Bretons, même de nos jours, dont beaucoup exercent la profession de marin, ont pu réimporter cette maladie de certaines colonies où elle existe toujours ; ainsi des lettres récentes de nos missionnaires rapportent que la lèpre se trouve dans une forte proportion dans les îles de l'Océanie et que dans les Iles Sandwich, par exemple, on compte jusqu'à dix lépreux contre deux individus sains (4).
(1) Ur vinorez, mot à mot : « une mineure », a, dans ce dialecte, le sens d'une orpheline qui n'a plus de mère.
(2) On ne trouvait personne pour laver la chemise d'un lépreux.
(3) Al laour gleñved : « la maladie de la lèpre » que l'on désigne aussi par laourez et lorgnez et, en Léon, par lovrez, lovrentez, de lovr, lor, « lépreux ». On trouve à Brest la rue du Poullic al lor, signifiant « le petit lavoir du lépreux ». On désignait aussi les lépreux sous le nom de kakouz, pluriel kakouzien, qu'il faut rapprocher du grec kakos.
(4) Lettre de l'Evêque Gulstan Ropert, chef de mission des Iles Sandwich. « Lettres de la propagation de la Foi », janvier 1894 (texte breton). Il existe dans la ville de Tokio, un hôpital de lépreux tenu par le Père Vigroux ; cette maladie est si affreuse et si contagieuse que les Religieux seuls se dévouent pour soigner les malades, car elle passe pour incurable.
Source
"Kanaouennoù Pobl", chansons recueillies par Alfred Bourgeois dans la deuxième moitié du XIXème siècle ; le recueil a été publié en 1959 à Paris
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