Markiz Gwerand
Le marquis de Guérande
 


I
Deiz-mat ha joa barzh ar gêr-mañ
Peleac'h eo Annaig dre-mañ ?

- En he gwele 'ma kousket dous,
Eveshait ; na rit ket trouz

En he gwele emañ kousket,
Eveshait, n'he dihunet ket !-

Kloareg Garlan dal ma glevas,
War laez gant an diri bignas,

War laez, ha ker skañv, a bignas,
War skaoñ he gwele 'n em lakaas

- Sav alese, Naig Kalvez,
Ra 'z aimp hon-daou d'al leur nevez.

- D'al leur nevez me n'az in ket,
Rag eno zo un den displet;

Gwasañ denjentil zo er bed,
Hag eñ atav kas va c'haouet.

- Na pa vez kant aotrou eno,
N'az pezo droug ebet ganto ;

Na pa vez kant aotrou eno,
D'al leur nevez ni a yelo !

Ni a yelo d'al leur nevez,
Ha ni zañso kerkoulz hag e.-

He brozig gloan he deus lakaet,
Ha da heul he mignon eo aet.

II

Markiz Gwerand a c'houlenne
Gant an hostiz, an deiz a oe:

- Hostiz, hostiz, din leveret,
N'hoc'h eus ket ar c'hloareg gwelet ?

- Aotrou markiz, em zigaret,
Ne c'houzon piv a c'houlennet.

- Ho tigareziñ ! me n'her gran !
Kloareg Garlan a c'houlennan !

- Aet eo du-se, evit an deiz,
Ur plac'hig koant hed e gostez

Aet int du-se d'al leur nevez,
Koant ha drant o-daou, war va feiz !

Gantañ d'e dog ur bluñv pavenn,
Ha diouc'h e gerc'henn ur chadenn

Ha diouc'h e gerc'henn ur chadenn,
Zo kouezhet holl war e varlenn.

Ganti ur c'horkennig brodet,
Hag ur voulouzenn arc'hantet;

Ganti he c'horkennig eured,
Dimezet ez int, me a gred.

III

Markiz Gwerand, enkrezet bras,
Raktal war e varc'h ruz lampas ;

War e varc'h raktal e lammas;
Ha d'al leur nevez ez eas.

- Kloareg, diwisk da borpansoù,
Evit gouren war ar gwestloù.

Kloareg, diwisk da borpansoù,
Ha ni reio ur peg pe zaou.

- Salokras, markiz, ne rin ket.
C'hwi zo aotrou, me n'em on ket ;

C'hwi zo mab an itron Gwerand,
Ha me zo mab ur plouezant.

- Evidout mab ur plouezant,
Te c'heus dibab ar merc'hed koant.

- Aotrou markiz, em zigaret,
N'eo ket me 'meus hi dibabet

Markiz Gwerand, em zigaret.
Gant Doue eo bet din roet.-

Annaig Kalvez a grene,
Oc'h o c'hlevout o komz giz-se.

Tavit, va mignon, deomp d'ar gêr,
Hemañ a rey deomp poan ha nec'h.

- A-raok, kloareg, lavar din-me :
Na te oar c'hoari ar c'hleze ?

- Biskoazh kleze n'em eus douget,
C'hoari penn-bazh, lavaran ket.

- Na te c'hoarife ganin-me :
Ur paotr taer, a glevan out-te

- Aotrou denjentil, va fenn-bazh
Na dalv ho kleze lemm ha noazh.

Aotrou denjentil na rin ket,
Ho kleze a vez saotret.

- Mard eo va c'hleze saotret,
E-barzh da wad a vo gwalc'het.-

Naig, p'he deus gwelet redek,
Rede gwad he mignon kloareg

Annaig, en ur strafuilh bras,
Da vlev ar markiz a sailhas.

Da vlev ar markiz a sailhas,
Hag en-dro d'al leur e stlejas.

- Tec'h tu-se, markiz traitour,
Te c'heuz lazhet va c'hloareg paour !

IV

Naig Kalvez o tont en-dro,
Leun he daoulagad a zaeroù.

- Va mammig vat, ma em c'haret
Va gwele din-me a refet

Va gwele din-me a refet aes ;
Rag va c'halonig zo diaes.

- Ho kalon a zo diaezet,
Va merc'h, dre m'hoc'h eus re zanset,

- Va mamm, n'em eus ket re zanset.
Markiz fall en deus hen lazet !

Markiz Gwerand, an traitour,
En deus lazhet va c'hloareg paour !

C'hwi a lavaro d'ar c'hleuzier,
Pa zeuio d'e gerc'hat d'ar gêr :

«Na daol tamm douar war e vez :
E berr va merc'h a yey ivez. »

Pa n'omp bet kousket er gwelead,
Ni gousko hon-daou er toullad

Pa n'omp bet eureujet er bed,
Dirak Doue vimp eureujet.-


Le sujet

I
Bonjour et joie dans cette maison ; où est Annaik par ici ?
- Elle est couchée et dort d'un doux sommeil ; prenez garde ; ne faites pas de bruit !
Elle repose doucement ; prenez garde, ne l'éveillez pas.-
Aussitôt le clerc de Garlan monta l'escalier,
Monta lestement l'escalier, et vint s'asseoir sur le banc du lit de la jeune fille.
- Lève-toi, Annaik Kalvez, que nous allions ensemble à l'Aire-Neuve !
- A l'Aire-Neuve, je n'irai point, car il va là un méchant homme ;
Le plus méchant gentilhomme du monde, qui me poursuit partout.
- Quand il y aurait là cent messieurs, ils ne te feraient aucun mal
Quand il y aurait là cent messieurs, nous irons à l'Aire-Neuve
Nous irons à l'Aire-Neuve, et nous danserons, tout comme eux. -
Elle a mis sa petite robe de laine, et elle a suivi son ami.

II
Le marquis de Guérand demandait à l'hôtelier, ce jour-là :
- Hôtelier, hôtelier, dites-moi, n'avez-vous pas vu le clerc ?
- Seigneur marquis, excusez-moi, je ne sais qui vous demandez.
- Vous excuser ! oh ! certes, non ! Je demande le clerc de Garlan !
- Il est allé là-bas passer la journée, jeune fille gentille au bras ;
Ils sont allés là-bas à l'Aire-Neuve ; joyeux et beau couple, ma foi !
A son chapeau il a une plume de paon et une chaîne au cou ;
Et au cou une chaîne qui retombe sur sa poitrine.
Elle porte un petit corset brodé, avec un velours orné d'argent
Elle porte son corset de noces ; ils sont fiancés, je crois. -

III
Le marquis de Guérand, hors de lui, sauta vite sur son cheval rouge;
Sur son cheval il sauta vite, et se rendit à l'Aire-Neuve.
- Clerc, mets bas ton pourpoint, que nous nous disputions ces gages.
Clerc, mets bas ton pourpoint, que nous nous donnions un croc-en-jambe ou deux.
- Sauf votre grâce, marquis, je n'en ferai rien, car vous êtes gentilhgomme, et moi je ne le suis point;
Car vous êtes le fils de madame de Guérand, et moi le fils d'un paysan.
- Quoique le fils d'un paysan, tu as le choix des jolies filles.
- Seigneur marquis excusez-moi, ce n'est pas moi qui l'ai choisie
Marquis de Guérand, excusez-moi, c'est Dieu qui me l'a donnée. -
Annaik Kalvez tremblait, en les entendant parler ainsi :
- Tais-toi, mon ami ; allons-nous en; celui-ci nous fera de la peine et du chagrin. - Avant de partir, dis-moi, clerc : sais-tu jouer de l'épée ?
- Jamais je n'ai porté d'épée : jouer du bâton, je ne dis pas
- Et en jouerais-tu avec moi ? Tu es, m'assure-ton, un terrible homme !
- Seigneur gentilhomme, mon bâton ne vaut pas votre épée affilée et nue.
Seigneur gentilhomme, je n'en ferai rien, car vous saliriez votre épée.
- Si je salis mon épée, je la laverai dans ton sang ! -

Annaik, voyant couler le sang de son doux clerc, Annaik, en grand émoi, sauta aux cheveux du marquis,
Sauta aux cheveux du marquis, et le traîna tout autour de l'Aire-Neuve.
- Fuis loin d'ici, traître de marquis ; tu as tué mon pauvre clerc ! -

IV

Annaik Kalvez s'en revenait à la maison, les yeux remplis de larmes.
- Ma bonne mère, si vous m'aimez, vous me ferez mon lit ;
Vous me ferez mon lit bien doux, car mon pauvre coeur va bien mal.
- Vous avez trop dansé, ma fille ; c'est ce qui rend votre coeur malade.
- Je n'ai point trop dansé, ma mère : c'est le méchant marquis qui l'a tué !
Le traître de marquis de Guérand a tué mon pauvre clerc !
Vous direz au fossoyeur, quand il ira le prendre chez lui :
« Ne jette point de terre dans sa fosse, car dans peu ma fille l'y suivra. »
Puisque nous n'avons point dormi dans la même couche, nous dormirons dans le même tombeau;
Puisque nous n'avons point été mariés en ce monde, nous nous marierons devant Dieu.-


Source

Extrait du "Barzhaz Breizh", le premier grand recueil de chansons bretonnes, publié en 1839 par Hersart de la Villemarqué