I
Le sujetNotes d'Alfred Bourgeois (1) Dans ce dialecte, on dit rofent pour rofen et, à la 3è personne du pluriel, rofent ou rofenk (t ou k mouillé)
Le Marquis de Les AubraysTel est le titre sous lequel on nous a chanté un des plus anciens gwerz que l'on connaisse. Il est encore aujourd'hui populaire dans le pays de Tréguier et j'en ai recueilli une version à Pontrieux, le 6 juillet 1889. Elle ne diffère pas sensiblement de la 3è version qu'en donne M. Luzel et nous renvoyons le lecteur au Tome I des Gwerziou Breiz-Izel(1). Elle comprend des strophes de 2 vers de 9 syllabes, dont le dernier est bissé dans le chant.Nous voulons surtout faire remarquer l'air sur lequel ce gwerz est chanté. M. Quellien en donne une notation dans son ouvrage intitulé « Chansons et Danses des Bretons ». Il dit à ce sujet : « L'air de Lézobré peut passer pour rebelle à une mesure rigoureuse ; c'est un récitatif plutôt qu'une mélodie ; le chanteur accélère ou ralentit la narration, psalmodie des événements à son gré, suivant sa propre émotion. Il faudrait toute autre chose que du talent pour soumettre de telles mélodies à une harmonisation. » Nous ne contestons nullement ces observations, mais nous croyons qu'elles doivent s'appliquer plus particulièrement au chanteur que M. Quellien a rencontré. Il est certain que les chanteurs bretons varient à leur gré, ou plutôt à leur fantaisie, les airs des complaintes ; mais cela tient surtout à leur plus ou moins de dispositions musicales. L'air de Lézobré, dont nous donnons la notation au n°51, m'a été chanté par Mme Jean Le Braz, de Pontrieux. Cette femme, bien que complètement illettrée et malgré ses 50 ans, avait la voix bien timbrée et très juste, avec un sentiment de musique inné. Son chant était assujetti à une mesure parfaitement régulière. Tel qu'il est noté, ce chant peut être soumis avec avantage à une harmonisation. Il offre ce caractère particulier qu'il paraît débuter en ut majeur pour conclure en la mineur, et c'est l'accompagnement ou l'harmonisation surtout qui peut le faire sentir. Ce chant, qui a des rapports avec celui que donne M. Quellien, est tout différent de l'air de Lez Breiz de M. de Villemarqué, bien que ce dernier s'applique également à des strophes identiques. Il a lui-même été modifié pour donner naissance à un air populaire appliqué à des cantiques, particulièrement à celui de Saint Yves (Sant Erwan) qui se chante dans le pays. D'après notre savant archéologue Pol de Courcy, Lézobré ne serait autre que Les Aubrays, nom d'un seigneur de la Maison de Lannion dont on peut suivre la généalogie depuis le 15è siècle [1455] (2). Le gwerz ne serait donc pas antérieur à cette époque et serait même d'une date plus récente. A l'appui des documents produits par M. Pol de Courcy, pour soutenir cette opinion nous ferons la remarque suivante : dans la version de M. Luzel, il est question de pèlerinage de Lézobré à Sainte-Anne de Vannes (Santez Anna Wened) ; or la statue de Sainte Anne ne fut découverte par Nicolazic, près d'Auray, qu'en 1623, et la fameuse chapelle ne fut ouverte à un culte public qu'en 1628, ce qui concorde bien avec l'époque indiquée par M. Pol de Courcy, soit la première moitié du 17è siècle. Nous ferons de plus remarquer que dans notre version Lez Obré porte le titre de Marquis, tandis que dans celle de M. Luzel, il est traité de Seigneur (Aotro). D'un autre côté, toutes les versions de Lézobré mentionnent une vieille légende dit Morian ar Roué (le Maure du Roi) que l'on retrouve également dans un des fragments épiques du poème de Lez Breiz de M. de la Villemarqué. Ce combat merveilleux doit se rapporter à une époque beaucoup plus ancienne. M. de la Villemarqué l'a fait remontere au temps de Louis le Débonnaire, c'est-à-dire en 818. Il s'appuie sur le poème latin d'Ermold Le Moir, religieux franc de cette époque, qui fit la relation de l'expédition du roi de France contre Morvan, roi des Bretons. Il nous apprend, et ce témoignage serait corroboré dans les annales d'Éginhard, que Louis le Débonnaire, ayant conquis Barcelonne, fit prisonniers et retint près de lui pour le servir plusieurs des Maures qui habitaient cette ville ; d'où la mode à la cour des Rois de France à cette époque d'avoir pour officiers ou gardes des hommes de race noire. Cette mode a-t -elle persisté ? Rien n'autorise à le penser, car aucun autre historien ou chroniqueur du moyen âge n'en fait mention. Quoi qu'il en soit, l'ancienneté de cette légende paraît bien acquise, et il est remarquable qu'elle se soit conservée jusqu'à nos jours. Comme notre version nous paraît plus correcte au point de vue du dialecte du Goélo, dans laquelle elle nous a chantée, nous la donnons ci-après. (1) Une version imprimée de « Lézobré », sous le titre de Lez-Breiz, a été publiée récemment par Le Goffic, à Lannion. Elle comporte également des strophes de 2 vers de 9 syllabes, dont le dernier est bissé. Elle n'est point de composition populaire et on l'a attribuée à M. l'Abbé Guémar, recteur de Saint-Laurent du Méné-Bré, dit Laouenannic Breiz.
Source"Kanaouennoù Pobl", chansons recueillies par Alfred Bourgeois dans la deuxième moitié du XIXème siècle ; le recueil a été publié en 1959 à Paris |